Maurice Scève, figure de proue de la poésie du début de la Renaissance, est né à Lyon probablement en 1501-1502 et y est décédé vers 1564. Si l’on connaît son œuvre, en particulier la plus représentative « Délie objet de la plus haute vertu », on connaît moins la vie qu’il a menée.
C’est un homme ambivalent, qui sera par exemple choisi en septembre 1548 pour organiser l’entrée solennelle à Lyon du roi Henri II et de son épouse Catherine de Médicis. Il part faire des recherches en Avignon où il se persuadera d’avoir découvert en 1533 le tombeau de Laure, l’égérie du poète Pétrarque. Mais il n’en recherche pas pour autant les honneurs comme il aurait pu y prétendre, de part son prestige personnel et la haute position de sa famille à Lyon[[Son père est juge-mage (en général, un juge d’appel assistant du Sénéchal), son frère Guillaume fait partie de l’élite lyonnaise.]], fait souvent de longues retraites et signe rarement ses œuvres. Par exemple, en 1547, il publie de façon anonyme « Saulsaye, églogue de la vie solitaire », long poème inspiré de Pétrarque où, à travers deux personnages Antire et Philerme, il aime à évoquer la solitude et les vertus de la retraite spirituelle.
Il ne quittera guère sa bonne ville de Lyon au cours de sa vie. Il habita la rue Saint-Jean, cœur du Vieux-Lyon, au numéro 11 dans la partie située entre la cathédrale et le Palais de justice. Il possédait aussi une résidence sur la Presqu’île, où l’on trouve encore aujourd’hui « la cour Maurice Scève », cour intérieure située dans une traboule entre le numéro 2 de la rue des Forces et la rue de la Poulaillerie.
Maurice Scève est surtout connu comme le chef de file de « L’École lyonnaise », mais elle constitue plus un groupe d’affinités qu’une doctrine structurée autour de thèmes fédérateurs. Il regroupe en particulier autour de lui les deux poétesses lyonnaises Louise Labé « la belle cordière », et Pernette du Guillet, son égérie qui lui a inspiré son poème le plus célèbre et Délie son héroïne. Disciples auxquels on peut ajouter Pontus de Tyard originaire de la région et membre de La Pléiade, son cousin Guillaume de Choul ainsi que Antoine Héroët. Sa renommée poétique va éclater quand il remporte en 1635 ‘Le concours des blasons’[[Le blason est une forme de poème très prisée au XVIe siècle, souvent à rimes plates, qui en général fait l’éloge du corps féminin]] initié par Clément Marot, avec un poème intitulé « Le blason du sourcil ». Il recevra la palme décernée par la duchesse de Ferrare, Renée de France, pour ce poème dont voici un bref extrait :
J’ensevelis en désirs trop funèbres
Ma liberté et ma dolente vie,
Qui doucement pour toi me fut ravie. »
Son inspiration se nourrit de Platon et de Pétrarque mais aussi de Clément Marot, de Dante et des poètes de ‘Dolce Stil Novo’[[Courant poétique italien créé par Dante qui l’appelle ainsi dans le 24e chant de son « Purgatoire » de la Divine comédie. Il sera porté à son apogée par Guido Guinizzelli et Guido Cavalcanti.]]. Sa poésie se réfère aussi aux thèmes bibliques, comme dans sa dernière œuvre « Microcosme », vaste épopée de l’histoire humaine depuis la Création.
Son œuvre maîtresse publiée en 1544, « Délie objet de la plus haute vertu », premier cycle amoureux de la Renaissance française, lui a été inspirée par son élève et égérie Pernette du Guillet qu’il a rencontré en 1536. Leur amour contrarié par les parents de la jeune fille s’exprima à travers cette symphonie poétique aux accents épiques à laquelle elle répondra par des poèmes intitulés « Les Rymes ». Mais Pernette du Guillet mourra très jeune à 25 ans en 1545 et Maurice Scève écrira alors une épitaphe aux « Rymes » qui finit ainsi :
En un corps chaste, où vertu reposa,
Est en ce lieu, par les Grâces posée,
Parmi ses os, que beauté composa. »
« Délie » est un long recueil poétique de 449 dizains séparés par des emblèmes, avec gravure entourée d’un motto[[Dizain : pièce poétique de 10 vers – Emblème : gravure symbolique – Motto : devise illustrant un thème, une gravure contenue dans un cadre géométrique.]]. Chaque emblème donne son thème au premier de la série des neuf dizains. Son style, à la fois enlevé et précieux, qu’on a parfois qualifié d’hermétique[[Les symbolistes et Stéphane Mallarmé ont largement contribués à tirer Maurice Scève de l’oubli.]], est dans la droite ligne des troubadours et de l’amour courtois mais sans la sécheresse lyrique des madrigaux de la période médiévale, avec une grande indépendance et liberté d’écriture. Les « fulgurances » de Maurice Scève, ses images contrastées sont aussi la symbolisation de l’amour idéalisé, traduction des tensions entre spiritualité et désir, esprit et matière.[[Virginie Minet-Mahy, « L’automne des images. Pragmatique de la langue figurée chez Chastelain, Villon et Maurice Scève », éditions Champion, bibliothèque du XVème siècle, 2009, isbn 978-2-7453-1849-9.]]
Autant de dizins dédiés à l’amour qu’il porte à Pernette-Délie, exprimant tantôt la joie, l’espérance, tantôt les regrets, l’amertume et sa douleur, comme dans ce quatrain :
Tant je l’aimai, qu’en elle encor je vis :
Et tant la vis, que, malgré moi, je l’aime.
Le sens, et l’âme y furent tant ravis,
Que par l’Œil faut que le cœur la désaime. »
Mais c’est aussi un homme qui trouve assez de forces en lui pour surmonter cette douleur et qui écrira dans « Microcosme » sa dernière œuvre : « Contre l’adversité se prouve l’homme fort. »
Bibliographie
– 1535 : La Déplorable Fin de Flamete d’après un roman espagnol tiré lui-même du Fiammetta de Boccace)
– 1536 : Cinq blasons : Le Sourcil, La Larme, Le font, La Gorge et Le Soupir
– 1536 : Églogue sur le trespas de Monseigneur le Dauphin, intitulé « Arion », composé aussi de 5 épigrammes et de deux huitains en français (ouvrage paru sous la direction d’Etienne Dolet)
– 1544 : Délie objet de plus haute vertu, inspiré par la poétesse Pernette du Guillet
– 1545 : Épitaphe pour « Les Rymes de gentile et vertueuse dame Pernette du Guillet »
– 1547 : La Saulsaye, poème pastoral, églogue de la vie solitaire
– 1555 : Escriz de divers poètes à la louange de Louize Labé, Lionnoize, hommage rendu à la lyonnaise Louise Labé, avec Olivier de Magny et Jean-Antoine du Baïf
– 1562 : Microcosme
Quelques références
– Maurice Sceve Délie, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 1984
– Paul Ardouin, Devises Et Emblèmes d’amour dans La « Délie » De Maurice Scève, éditions Librairie AG. Nizet, 1987, 315 pages
– Autres fiches à consulter : Louise Labé, Stendhal à Lyon, Rousseau à Lyon
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