«Tout était donné, tout s’y trouvait en substance, ma faim, mes inquiétudes, l’effroi de vivre.»
Green dans son Journal en 1954, à propos de Mont-Cinère.
«Tous les soirs, à huit heures trente, j’avais rendez-vous avec le diable.»
Jeunes années, volume 2, Points Seuil n°R172, p. 343.
«Je m’assois à ma table et j’écris avec de très grandes difficultés quelques phrases – environ dix ou quinze lignes – que je m’arrache comme on arrache du métal à un rocher, avec un pic. Ces phrases sont la suite de ce que j’ai écrit la veille, et la veille je me suis arrêté à un moment que j’ai jugé prometteur, un endroit où je sens qu’il y a de quoi remettre la machine en marche, de la force en réserve.»
Journal, 23 juin 1960.
«Écrire c’est l’aventure. Tout à coup une image s’impose et vous déroulez une histoire à l’intérieur de vous-même avec les êtres inventés qui se mettent à vivre. Elle vous mène à ce que vous êtes, mais vous ne le savez pas, et plus vous croyez inventer, plus vous découvrez que la terre inconnue où vous vous aventurez, c’est le Moi, c’est l’être humain qui ne ressemble à aucun autre. Les autres essaient alors de retrouver dans votre image leur propre personne.»
Entretien avec Philippe Vannini, Le Magazine littéraire n°366, juin 1998.
«Hier, à la messe, je me trouvais derrière une femme dont la tête s’enveloppait d’un foulard sur lequel se voyait imprimée une carte de fantaisie avec ces mots en grosses lettres : “Carte générale de l’Empire du Tendre”. Avec cela sous le nez, le moyen de ne pas avoir de distractions ?»
Journal, 27 novembre 1961.
«Beaucoup travaillé à mon autobiographie, avec une sorte de joie mélancolique. De nouveau j’ai vingt ans. Malgré tout, je ne voudrais plus avoir vingt ans de cette façon-là. Si c’était à refaire, je dirais non.»
Journal, 25 juin 1963.
«La lecture est aussi un divertissement, mais le seul refuge, on ne le dira jamais assez, c’est Dieu.»
Journal, 28 décembre 1966.
Doux d’apparence, mais pas lisse. « Je trompe la violence qui forme le fond de ma vie en écrivant des livres », explique Green qui précise : « Tous mes romans contiennent sous-entendue une histoire secrète qui transparaît aux yeux de qui sait voir. »
« Green est un romancier de la violence, du désir et de l’échec », écrivent encore Robert de Saint-Jean et Luc Estang dans Julien Green. Violence, désir et échec qui s’apaiseront à la fin des années 1980 dans ses deux derniers grands romans.
Ses milliers de pages de Journal et d’autobiographie lui ont peut-être permis de mieux cerner sa nature.
Julien Green est souvent ailleurs : dans “son” Sud quand il se trouve à Paris, et inversement.
Il naît en 1900 au 4 rue de Ruhmkorff à Paris. Ses parents ont quitté le sud des États-Unis sept ans plus tôt. Son père travaille dans le commerce de coton, ce qui a amené la famille au Havre en 1893, puis dans la capitale en 1897.
Les quinze premières années de Julien sont hantées par la Géorgie, la Virginie et la défaite (que Mme Green n’a jamais acceptée) de la guerre de Sécession en 1865, toutes choses qu’il n’a pas connues mais que sa mère raconte à Julian souvent en anglais.
Cela crée des racines mais ne permet pas vraiment au jeune garçon de vivre dans le même univers que ses camarades. Ce Sud est un paradis perdu, d’autant plus que ce sont des revers de fortune qui ont poussé les Green à quitter le Nouveau monde.
Ils s’installent 92 rue Raynouard en 1902[[Cela tombe bien. L’American field service est basé au n°21 dans les années 1910 et Julien s’y engagera en 1917, avant d’avoir atteint l’âge règlementaire.]].
Le petit Julien fréquente le cours Sainte-Cécile, rue Singer. La famille emménage 93 rue de Passy en 1904 et rue de la Pompe en 1910, au niveau du lycée Janson de Sailly. Sur un banc du square Lamartine, Julien lit Edmont About, Dumas Père et Victor Cherbuliez.
De religion anglicane (mais Julien se convertit au catholicisme en 1916), les Green fréquentent de temps à autre l’église américaine de l’avenue de l’Alma, l’église anglaise de la rue Auguste-Vacquerie, etc.
Ils louent à Andrésy, à partir de 1909, une maison pour l’été. D’abord 36 boulevard de la Seine, puis 5 Grand-rue.
Ils quittent en 1913 la rue de la Pompe pour la villa du Lac, en haut de l’avenue de la Princesse au Vésinet.
M. Green a son bureau d’importation de coton 21 rue du Louvre à Paris.
Avant de mourir trop tôt en 1914, sa femme a le temps de faire découvrir à Julien la bible, Walter Scott, Shakespeare et Dickens. En 1915, son mari installe ses enfants dans la pension Mouton, 43 rue de la Tour (la maison a été démolie en 1930), le temps de chercher une nouvelle demeure qu’il trouve au premier étage du 16 rue Cortambert en mars 1916.
Dans la crypte de la chapelle des Soeurs blanches, au n°20 de la rue, Julien se convertit au catholicisme en 1916. Face à la chapelle : un temple protestant.
Sur le conseil de son père, il s’engage à 17 ans dans l’Americain field service comme chauffeur, et voit son premier cadavre sur le front d’Argonne. Il commence à écrire. Un oncle maternel l’invite en 1919 à venir étudier à l’université de Virginie à Charlottesville. Ce Sud de légende, qu’il reconnaît tout de suite comme étant le sien, devient réalité. À l’université, il tombe amoureux de Mark, qui ne partage pas ces sentiments mais restera son ami jusqu’à la mort de Green en 1989. Celui-ci continue à écrire, et sa première œuvre publiée est une nouvelle en anglais, The Apprentice psychiatrist, composée pour son cours de littérature anglaise et parue en 1920 dans le journal de l’université. C’est l’histoire d’une folie qui se termine avec la mort.
De retour rue Cortambert en 1922, il croit voir son destin dans la peinture, jusqu’à une visite chez le frère (collectionneur aussi) de Gertrude et Theo Stein, où il voit des Matisse qui le détournent de l’art moderne. Mais il conservera l’habitude de dessiner tous ses personnages, parfois en marge de ses manuscrits.
Un pamphlet ultra-catholique plus tard (Pamphlet contre les catholiques de France, paru en 1924), puis un premier roman, Mont-Cinère, en 1926[[Cette année-là, il se met également à écrire régulièrement son Journal, qu’il tient jusqu’en 1990 et dont la publication commence en 1938. Sans doute le plus long Journal jamais écrit et publié – cinq ans de plus que celui de Gide – et, comme bien des Journaux, la description d’une longue quête du bonheur et d’une vérité que Green recherche avec la tenacité de ses origines protestantes.]], et c’est l’entrée en littérature d’un style semblable à aucun autre à cette époque où les surréalistes, Joyce (auquel Green s’intéresse beaucoup), Hemingway, etc., représentent l’avant-garde littéraire. 1926 marque aussi le début d’une longue amitié avec André Gide. Grâce à Adrienne Mesurat et Léviathan, Green atteint une renommée internationale, ce qui ne l’empêche pas de rester antibourgeois, anti-politique et pacifiste, et de repousser le “roman catholique”, genre auquel on l’assimile parfois.
Ses deux romans où le bonheur semble le moins troublé sont Les Pays lointains (1987) et Les Étoiles du Sud (1989). La destinée du premier est particulière. Il a été commencé en 1934 sous le titre Les Pays lointains puis rapidement abandonné, son auteur ayant appris qu’une journaliste d’Atlanta, une certaine Margaret Mitchell, écrivait sur le Sud d’avant la guerre de Sécession. Green ne lira Autant en emporte le vent qu’en 1988…
Il s’exile en Amérique après l’armistice de 1940 et prête sa voix à La Voix de l’Amérique, aux côtés d’André Breton… et de Yul Brynner.
D’autres de ses adresses parisiennes sont le 52 bis rue de Varenne dans les années 1960 et le 28 avenue du Président Wilson.
Sources :
Julien Green. Robert de Saint-Jean et Luc Estang. Éditions du Seuil, 1967 et 1990.
Jeunes années. Julien Green. points Seuil n°R171 et 172.
Journal. Julien Green. Livre de poche.
À voir :
Le site de la société internationale des études greeniennes : www.sieg-juliengreen.com.