« Nos rouges ont reçu une raclée solide et les badauds quelques éclaboussures qui les obligeront à l’avenir à se tenir tranquilles chez eux. »
Mérimée, lettre à un ami, 10 décembre 1851.
Romantique ou réaliste ? Historien ou romancier ? Bonapartiste ou libéral ? Sérieux ou ironique ? Mérimée est un peu de tout cela, sans l’être tout à fait. Il s’est lui-même forgé une image d’amateur en littérature en appelant à tort « petites drôleries » ses activités d’écriture.
Quelques choses sont sûres, tout de même.
Il possède quelques traits bien romantiques : le goût pour le voyage (mais aussi en Espagne et en Corse, pas seulement en Europe du nord), son goût pour les femmes (qu’il n’épouse jamais), son goût pour l’histoire : marchant dans les pas de Walter Scott, il est, dans les années 1820 avec Vigny et Ludovic Vitet, un des premiers auteurs de romans historiques.
Il est mondain et court après les honneurs, ce qui l’éloignera peu à peu de Stendhal.
Enfin, on lui doit parmi les plus belles nouvelles de la langue française, ainsi que, tout le monde le sait, le sauvetage de moult monuments historiques.
Ses adresses parisiennes sont les suivantes :
– il naît en 1803 au n°7 Carré de Sainte-Geneviève, en face de l’église Saint-Étienne-du-Mont, d’un père professeur de dessin à l’École polytechnique (puis secrétaire de l’École des Beaux-Arts), et d’une mère artiste.
– le 10 rue Saint-Dominique d’Enfer (rue Royer-Collard) en 1806.
– 45 rue des Postes (rue Lhomond) en 1807.
– 12 rue des Postes en 1808. Il est élève en 1811 au lycée Henri IV (alors lycée Napoléon), 23 rue Clovis.
– 19 place de l’Estrapade en 1814. Son père est professeur au lycée Henri IV.
– 25 rue Neuve Sainte-Geneviève en 1816.
– 14-16 rue des Petits-Augustins (rue Bonaparte – dans l’école des Beaux-Arts) en 1820. La famille Hugo vit ici au même moment.
– 20 rue des Marais Saint-Germain (Visconti) en 1836.
– 10 rue des Beaux-Arts 1838 (dans l’immeuble où La Revue des Deux-Mondes a son siège entre 1834 et 1845).
– 18 rue Jacob en 1847.
– 52 rue de Lille 1852-1870 (la maison a brûlé lors de la Commune).
Outre ses lieux de vie, certains salons littéraires de la Restauration sont pour Mérimée, comme pour son ami Stendhal de vingt ans son aîné, un véritable « chez-soi », davantage que les domiciles de ses parents avec qui il habite jusqu’au décès de sa mère en 1852.
L’un des plus intéressants existe encore rue Chabanais, à l’angle de la rue des Petits-Champs. Dans les années 1820, Etienne-Jean Delécluze – élève de David, puis critique d’art et écrivain[[Ses nombrilistes Souvenirs de soixante années parus en 1862 sont une précieuse source d’information sur l’époque. Sainte-Beuve dira de Delécluze : « On finit par s’intéresser à lui avec lui. »]] – reçoit le dimanche à deux heures dans son « grenier » les jeunes plumes du Globe[[Le Globe, basé 6 rue Monsigny, est créé en 1824 sous l’impulsion de Pierre Leroux et dirigé par Paul Dubois. Le jeune Sainte-Beuve y collabore. Le journal, auquel Mérimée participe aussi, devient un organe du « romantisme », dont un de ses rédacteurs, Théodore Jouffroy, précise la définition : c’est « la liberté de penser en matière de littérature ».]]. Ludovic Vitet, Sainte-Beuve, Stendhal, Mérimée, Paul-Louis Courier, etc. y conçoivent un « romantisme réaliste » qui cherche un compromis avec le classicisme et s’oppose à l’emphase hugolienne. Mérimée et Stendhal y testent leurs premières oeuvres. Le cénacle de Delécluze est l’anti-cénacle de l’Arsenal.
Dans ces années-là, Mérimée fréquente aussi d’autres salons, dans lesquels, comme chez Delécluze, il est souvent introduit par Stendhal : celui du beau-frère de Delécluze, Emmanuel Viollet-le-Duc (père de l’architecte) ; celui du naturaliste Cuvier (47 rue Cuvier), avide d’honneurs.
Démarrée presque au même moment que celles de Hugo, Balzac et Dumas, la vie de Mérimée traverse les grands moments du XIXe siècle jusqu’à la Commune : la Restauration, la Monarchie de Juillet, la IIe République et le Second Empire.
Il poursuit des études de droit, apprend l’anglais, l’espagnol, le grec et la philosophie. Il obtient sa licence de droit en 1823. Son activité principale est littéraire jusqu’à son entrée dans la fonction publique en 1831.
Après avoir conçu plusieurs pièces, il publie son premier livre en 1825 : Le Théâtre de Clara Gazul, plaidoyer hispanisant pour le théâtre romantique et l’esprit des Lumières publié sous un nom d’emprunt. Clara Gazul est une actrice espagnole qu’il a inventée, et sa supercherie découverte lui vaut une petite renommée dans les salons parisiens.
Puis, en 1827, La Guzla, recueil de ballades prétendûment populaires dont il est en réalité l’auteur et dans lesquelles il introduit une bonne dose de fantastique. Suivent des scènes féodales, un drame et, en 1829, la Chronique du temps de Charles IX, roman historique qui rencontre un beau succès de librairie ainsi que Mateo Falcone, sa première nouvelle. Elle ne fait que dix pages et annonce l’économie de moyens dont il va faire preuve dans toutes ses nouvelles. «Je hais les détails inutiles, et d’ailleurs je ne me crois pas obligé de dire au lecteur tout ce qu’il peut facilement imaginer», déclare t-il dans La Chambre bleue. Priorité à l’action et à la phrase courte.
Il visite l’Espagne en 1830 comme un curieux assoiffé d’art, d’histoire et d’architecture. Il s’y rend au moins six fois entre 1830 et 1864 et y est accueilli par la comtesse de Montijo, mère d’Eugénie, qui épousera Louis-Napoléon Bonaparte en 1853. C’est là qu’il se trouve lorsque se produit à Paris la révolution de juillet 1830. Le nouveau régime de Louis-Philippe est plus à son goût que celui de la Restauration. Alors que Vitet devient le premier inspecteur général des Monuments historiques et que Stendhal entre dans le corps diplomatique, Mérimée est nommé en 1831 (grâce aux relations de son père) au secrétariat général de la Marine (son bureau est 26 rue de Varennes) puis chef du cabinet du ministre du Commerce (cousin de Stendhal), bientôt ministre de l’Intérieur.
Ces années sont – telles qu’il les qualifie lui-même – les « années d’un vaurien ». Il est travailleur très appliqué, ne manque pas de critiquer les défauts des fonctionnaires et passe le reste de son temps en de chaudes soirées avec des jeunes femmes et ses amis Delacroix, Musset, etc.
En 1834, il succède à Vitet en tant qu’inspecteur général des Monuments historiques. Il n’est pas historien mais va se former au contact de Vitet et sur le terrain.
Ses voyages à travers la France (qu’il ralentit à partir de 1852 pour laisser place à une vie mondaine plus importante) s’opèrent dans des conditions matérielles qui sont souvent loin d’être privilégiées. Il en tire des récits pleins de bonheur pour le lecteur, où le mot voyage rime avec histoire.
Ses déplacements inspirent d’ailleurs ses trois grandes nouvelles des années 1837-1845, La Vénus d’Ille (qu’il estime être son chef-d’œuvre), Colomba et Carmen – trois figures féminines appelées à une belle postérité.
Il fait appel en 1840 au jeune Eugène Viollet-le-Duc pour restaurer l’église de la Madeleine de Vézelay. C’est le début d’une collaboration qui durera jusqu’à la mort de Mérimée en 1870.
Quant à ses choix politiques, la famille impériale est à ses yeux ce qu’il explique à Victor Cousin dans une lettre du 13 août 1865: « des gens [qu’il] respecte peu, mais [qu’il ne peut s’]empêcher d’aimer ». La mère d’Eugénie est devenue sa confidente. Elle lui apprend aussi le fait divers dont il tire Carmen. Une fois passé le mariage impérial, Napoléon III souhaite garder ses distances avec la famille d’Eugénie et Mérimée est en quelque sorte l’agent spécial à la cour de la mère de l’impératrice.
Sa présence est appréciée lors des séjours impériaux au château de Compiègne, où il joue un rôle d’amuseur public pour contrebalancer l’autorité que sa fonction lui donne.
Mérimée fréquente les salons de la Princesse Mathilde et de la Comtesse de Beaumont. Après l’Académie des inscriptions et belles-lettres où il est élu en 1843 et l’Académie française, qui l’accueille en 1844, c’est l’apothéose avec sa nomination de sénateur à vie en 1853.
Les vingt années que dure le Second Empire le voient peu produire de nouvelles et de romans. Le réalisme qui succède au romantisme n’est pas trop son style. Son grand amour avec Valentine Delessert s’éteint aussi, et l’inspire moins. Il y a aussi que la Russie l’occupe davantage. Il rencontre Pouchkine et se lie avec Tourgueniev. Il les traduit tous deux à une époque où la Russie est peu appréciée du public français.
Il écrit également sur l’histoire de ce pays, riche de ce qu’il aime : des épisodes merveilleux ou terribles, des princes cruels et des imposteurs.
Il laisse derrière lui un roman, dix-huit nouvelles, des poésies, quelques contes et pièces de théâtre. Entré en littérature dans les années 1820 au moment où, après le Premier Empire, chacun voyait l’histoire en marche et s’y plongeait[[Sur 5719 ouvrages publiés en 1829, 736 relèvent de l’histoire, 708 de la religion, 463 de la poésie, 308 du drame (Ces Imbéciles croyants de liberté, p. 46).]], Mérimée en a fait le centre de ses préoccupations en croisant des genres, voulant à la fois « faire vrai » et « faire peur ».
Sources :
www.merimee.culture.fr,
Stendhal ou Monsieur Moi-même. Michel Crouzet. Flammarion,
Ces Imbéciles croyants de liberté. Michel Orcel, François Boddaert, éditions Hatier,
Balade en Oise. Editions Alexandrines.