Une plaque commémorative vient d’être posée pour célébrer le plus représentatif du Paris romantique, grâce aux « Amis d’Alexandre Dumas, et à l’association « Autour du Père Tanguy ».
Aujourd’hui : 20 boulevard des Italiens, 1/3 rue Laffitte.
Par Bernard Vassor et Chantal Chemla ©2005
Sur cet emplacement s’élevait l’hôtel Choiseul-Stainville où vécut madame Tallien, « Notre-Dame de Thermidor », la plus célèbre des Merveilleuses qui mit à la mode le vêtement grec flottant et transparent. Elle avait les pieds ornés de rubis, une chevelure abondante tour à tour brune, rousse, blonde, le teint pâle, les yeux très noirs. Elle dirigea avec son mari le mouvement réactionnaire. Son salon figurait parmi les plus acharnés Clubs contre-révolutionnaires[[Augustin Challamel : Les Clubs contre-révolutionnaires, Quantin, Paris 1895.]])
Tallien, lassé de son infidélité s’éloigna d’elle. Pendant son absence, elle eut trois enfants. Dès son retour, il obtint le divorce.
Après la démolition de l’hôtel Choiseul-Stainville, l’emplacement fut occupé par le Café Hardy, établi à l’angle du boulevard de Gand et de la rue Cerutti : on ignore la date de naissance de l’établissement, mais il était déjà célèbre sous l’Empire.
« On pouvait y déguster (chez Madame Hardy, ou Hardi) les meilleures côtelettes de la capitale, des membres de volaille en papillotes savantes, des émincés de volailles aux truffes, des andouillettes farcies aux truffes…qui donneraient de l’appétit à un agonisant. » Almanach des Gourmands. Grimaud de la Reynière, 1804.
Une des spécialités de la maison était le boudin Richelieu.
Sur la porte du café, on pouvait lire: « Riz au lait-Riz au gras et déjeuner à la fourchette ». « Dans le plus grand des salons, Hardy avait fait construire une immense cheminée en marbre blanc ; dans cette cheminée, de 10 heures du matin à 3 heures de l’après-midi un énorme gril d’argent était en permanence sur des charbons incandescents. Les mets à griller sont présentés sur un buffet alléchant pour exciter les appétits les plus paresseux. »
C’était l’endroit le plus cher de Paris si l’on en croit les journaux de l’époque : « Il faut être bien riche pour dîner chez Hardy et il faut être hardi pour souper chez Riche » (le Café Riche était à deux pas, à l’angle de la rue Le Peletier).
C’est le lieu de rendez-vous des agents de change et généralement de tous ceux qui travaillent en grand sur la place depuis quelque temps. Le général Rostopchine et le général Gérard figurent parmi les clients de marque.
L’établissement fut vendu « à prix d’or » en 1836 aux frères Hamel, déjà propriétaires du café de Chartres (Le Grand Véfour) au Palais Royal, qui feront faillite !
En 1848, ce sera « l’annexe » de la rédaction du journal le National qui avait ses bureaux rue Le Peletier, dirigé par Armand Marrast, l’éphémère maire de Paris « qui avait l’air d’un marquis et qui ressemblait à Barras », avec son ami un certain Clovis Gauguin époux d’Aline Chazal.
Le baron Dornès, qui fut tué au cours des journées de juin 1848, Louis Blanc demeurant au dessus de Tortoni, étaient aussi des habitués, ainsi que le général Clément Thomas (qui sera fusillé à Montmartre le 18 mars 1871), Nestor Roqueplan et Gérard de Nerval.
Même si la date de 1839 figure actuellement sur la façade de l’immeuble, on ignore exactement quand fut construit le bâtiment actuel.
Les versions de cette histoire sont fort nombreuses ; en effet, chaque témoin ou mémorialiste a donné la sienne.
Voici celle de Balzac :
« L’immeuble avait eu pour auteur un ancien tapissier devenu par vocation architecte (…) un restaurateur en avait à l’avance retenu le rez-de-chaussée mais, effrayé du prix du loyer de cette maison luxueuse, il obtint de déchirer son bail moyennant un dédit de 25000 francs. Celui-ci fut racheté par un confrère, ainsi naquit le fameux restaurant de la Maison d’Or, plus tard Maison Dorée.
Toujours est-il que le premier propriétaire connu fut Louis Verdier qui le baptisa :
Le Restaurant de la Cité. Mais le public, qui ne l’entendit pas de cette oreille, devant les dorures, les balustrades et les balcons rutilants, l’appela la Maison d’Or, ou bien Maison Dorée, nom qui s’imposa par la suite. »
« Cette Cité des Italiens, bâtie par l’architecte Victor Lemaire qui avait conçu la fantaisie de dorer les balcons et les encadrements des baies. En outre, des médaillons et des frises sculptées par les frères Lechesne, ornaient la façade : parmi les branches de chêne enroulées en rinceaux couraient cerfs et sangliers. » (Le Musée des Familles).
On peut lire dans Le Courrier Français : C’est elle (la Maison d’Or) qui a inauguré le règne des cafés splendide, où les peintures, les glaces, l’or et l’ameublement fastueux attirent et éblouissent le regard. Ce ne sont partout que médaillons, pendentifs, culs-de-lampe, boiseries sculptées, plafonds ciselés.
Les sculpteurs ornemanistes qui ont apporté leur collaboration au décor somptueux sont Auguste Jean-Baptiste Lechesne, Jean-Baptiste-Jules Klagman et Georges-Jules Garraud.
Lechesne et Pierre-Louis Rouillard réalisent la frise animalière qui ceinture l’ensemble de l’immeuble (l’architecte Pierre Dufau l’a reproduite rue Taitbout pour ceinturer l’immeuble rue Taitbout, siège de la BNP lors de la restauration en 1974-1975).
Théophile Gautier décrit ainsi l’immeuble : « Une maison en or décorée de pierres ».
Gérard de Nerval donne ce commentaire : « La Maison d’Or, c’est bien mal composé : des Lorettes, les quarts d’agents de change, et des débris de la jeunesse dorée. »
Le restaurant est divisé en 2 parties, l’une donne sur le boulevard, est réservée au « tout venant », l’autre, rue Laffitte, reçoit les habitués de marque, à l’abri des curieux, dans de luxueux « Cabinets ». Le plus demandé est le numéro 6, fréquenté par ce qui compte le plus à Paris, princes, comtes et marquis ainsi que d’excentriques fortunés se l’arrachent. La cave somptueuse avec ses 80 000 bouteilles attira tout ce qui comptait de noceurs et de fêtards de la capitale.
Après une soirée à l’Opéra Lepelletier, on peut aussi bien croiser le futur Edouard VII , que Lord Sémour ou le baron de Saint Cricq. Émile Zola, pour la reprise de L’Assommoir en 1885 au théâtre du Châtelet, y a donné un dîner[[Le 25 juin 1885. Menu BHVP actualité, série 77.]]. Les romanciers de l’époque convoquent souvent leurs héros à ces fastueux dîners (Lucien de Rubempré, pour Balzac ; Swann pour Proust…).
Entre le Café Riche au n°18, et le fameux glacier Tortoni au n°22, La Maison Dorée, au 20 boulevard des Italiens, reste le plus cher et le plus recherché des restaurants parisiens pendant plus d’un demi-siècle.
Le cuisinier Casimir Moisson et les frères Verdier réussissent à faire de ce lieu le centre de la vie culturelle et politique de la capitale, le cur, l’esprit et l’estomac du Boulevard, c’est-à-dire de Paris. Le symbole de la capitale était alors ses « grands Boulevards », la Tour Eiffel n’étant pas encore construite.
A la fin du XIX° siècle, les bureaux de La Revue Blanche, seront domiciliés au numéro 1.
En 1895 une annexe de la « Maison Bing » est installée dans la cour, à la date de la première exposition Art Nouveau (information inédite qui ne figure pas au magnifique ouvrage d’Alexandre Weisberg : Art Nouveau Bing Smitsonian institut,1986).
Mais La Maison Dorée, dernière rescapée de la démolition des numéros pairs du boulevard des Italiens, va fermer ses portes en 1902. Et, en 1909, un bureau de poste va s’ouvrir à sa place : c’est René Binet qui va se charger de la décoration avec habileté, en tirant le meilleur parti, compte tenu des contraintes imposées par la location par l’Administration des Postes, puis sera morcelée pour l’établissement de plusieurs commerces.
Les dernières modifications auront lieu lors de l’installation de la BNP dans les années 1974-1976, ce sera la première transformation avec « façadisme».
Les Journaux basés dans le bâtiment
Le journal L’Evènement fondé par Froment Meurice de 1848 jusqu’à 1851, avec pour directeur de la publication Paul Meurice, les principaux rédacteurs sont les fils François-Victor et Charles Hugo.
Le journal Paris, premier quotidien littéraire dans l’histoire de la presse (son titre se modifiait selon les jours de la semaine : Paris-Lundi, Paris-Mardi, etc.), chaque numéro étant accompagné d’un dessin de Gavarni, est publié à partir du 20 octobre 1852 et est supprimé par jugement correctionnel le 8 décembre 1853.
« Le premier quotidien littéraire depuis la fondation du monde. Nous en écrivons le premier article », notent très modestement les frères Goncourt.
Les bureaux étaient situés au n°1 de la rue Laffitte, au rez-de-chaussée, à côté du restaurant de la maison d’Or. La curiosité de ces bureaux, était le bureau de Villedeuil, où Villedeuil avait utilisé la tenture et les rideaux de velours noir, les crépines d’argent de son salon, rêve d’un croque-mort millionnaire. (…) cette pièce mortuaire était le saint des saints du journal. À côté était une caisse grillée, où se tenait le caissier… C’est dans ces termes que les « frères » parlent de leur cousin le marquis de Villedeuil. La chute du journal sera provoquée, ironie de l’Histoire, par un article intitulé Voyage du n° 43 de la rue Saint-Georges au n° 1 de la rue Laffitte.
Les habitués de la rédaction : Henri Murger, avec son il pleurard, son air humble et caressant d’ivrogne; Aurélien Scholl avec son lorgnon dans l’il, Banville avec sa mine blafarde, Alphonse Karr avec la tête rasée de forçat ; Louis Esnault, orné de ses manchettes, de son obséquiosité et de sa tournure contournée et gracieusée de chanteur de romances.
Les autres rédacteurs ont également été vitriolés par les duettistes : Gaiffe, rédacteur au journal L’Evénement de Meurice et des fils Hugo, est traité de « Rubempré des coulisses, il se collait à Villedeuil, allait dîner dans son assiette à la Maison d’Or, ou bien lui tirait 20 francs… ». Roger de Beauvoir et quelques autres, sont dispensés de critique – provisoirement.
Le Mousquetaire
(1853 – 1857)
Lorsque Girardin, dans son journal La Presse, suspend la publication de ses Mémoires, Alexandre Dumas fonde un quotidien pour poursuivre son « journal ».
Le premier numéro est daté du 12 novembre 1853, le dernier du 7 février 1857. Le prix de l’abonnement est de 36 F (pour Paris). Le journal tire au début à 10 000 exemplaires.
Dans ses bureaux du 1 rue Laffitte, les principaux collaborateurs sont : Philibert Audebrand, Joseph Méry, Gérard de Nerval, Alexandre Dumas fils (un seul article), Octave Feuillet, Paul Bocage, Émile Deschamps, Henri Rochefort, Roger de Beauvoir, Aurélien Scholl, Théodore de Banville, Maurice Sand, Alfred Asseline, la comtesse Dash, Xavier Aubryet.
« J’ai rêvé toute ma vie d’avoir un journal bien à moi ; je le tiens enfin et le moins qu’il puisse me rapporter, c’est un million par an. Je n’ai pas encore touché un sou pour mes articles, c’est 200 000 F que j’ai gagnés depuis la création du Mousquetaire, somme que je laisse tranquillement à la caisse, pour toucher dans un mois 5 000 F à la fois. Dans ces conditions, je n’ai besoin ni d’argent, ni d’un directeur. Le Mousquetaire est une affaire en or et je tiens à l’exploiter tout seul » (Lettre d’Alexandre Dumas à Villemessant).
Mais le journal ne répond pas à ses espérances. Le 28 octobre 1854, les principaux rédacteurs (A. Privat d’Anglemont, Aurélien Scholl, Georges Bell, Philibert Audebrand, Alfred Asseline, Fages, Henry de La Madelène, A. Dupeuty, A. Desonnaz) démissionnent en bloc.
En 1856, Dumas abandonne la direction à Xavier de Montépin, puis résilie son contrat avec Boulé : « Le jeu n’en vaut pas la chandelle » (1er février 1857).
La Revue Blanche,
1 rue Laffitte,
1901-1903.
Les frères Natanson, Alexandre, Thadée et Alfred, fils de banquier russo-polonais, seront les protecteurs de cette publication. Ses bureaux deviennent un lieu de discussions.
Les artistes viennent y présenter en avant première leurs uvres, pour les soumettre à la critique de leur cénacle.
Dirigée par Félix Fénéon, les collaborateurs de cette revue sont : Toulouse-Lautrec, Bonnard, Vuillard, Maurice Denis, Valloton, le sculpteur Maillol,
Jules Renard, Marcel Proust, Emile Verharen, Paul Claudel, Jules Laforgue, Tristan Bernard, Jarry, André Gide.
Léon Blum assurera la critique des livres, Julien Benda, Octave Mirbeau et Charles-Louis-Philippe verront leurs textes publiés dans cette somptueuse publication. Pour parfaire le tableau, Misia Godebska « la plus belle femme de Paris » dont le charme attire les peintres et les écrivains qui viennent chez eux, sera la première épouse de Thadée.
Paul Gauguin
A peine débarqué du navire « Prince Eugène » après la chute du second Empire, Paul rentre à Paris.
Son « tuteur » Gustave Arosa, le fait entrer en 1871 comme coulissier chez l’agent de change Bertin du premier étage du 1 de la rue Laffitte. Il y restera après la retraite de Bertin grâce à Castaldo, successeur et ami d’Arosa. L’agence Galichon prendra le relai.
Gauguin démissionnera en 1882 pour se consacrer entièrement à la peinture. C’est là qu’il fit la connaissance de Schuffeneker, son collègue à l’agence.
Du 15 mai au 15 Juin 1886 se tient à la Maison Dorée la huitième et dernière exposition impressionniste, dernière tentative du groupe impressionniste.
Le public est invité par les journaux et les peintres académiques à venir rire de « La Grande-Jatte » de Seurat. La clientèle du « Tortoni », entraînée par Alfred Stevens, n’a pas manqué de conspuer les exposants !
Beaucoup d’anciens avaient jeté l’éponge.
Liste des participants :
Marie Bracquemont, Mary Cassat, Edgard Degas, Jean-Louis Forain, Paul Gauguin, Armand Guillaumin, Berthe Morisot, Camille Pissaro, Lucien Pissaro, Odilon Redon, Henri Rouart, Emile Schuffenecker, George Seurat, Paul Signac, Charles Tillot, Pierre-Paul Vignon, Frédéric Zandonomeghi.
Cadastre de 1862 / rue Laffitte propriété n° 1/3
année 1864 la Cie d’assurances La Nationale ( propriété de la famille Hottinger), représentée par Monfoy 13 rue de …. (illisible)
S’adresser à gérant de 2h à 4 h concierge à gauche ……………
Description sommaire de la propriété
À l’angle du Bld des Italiens et de la rue Laffitte double en profondeur élevé sur cave d’un rez-de-chaussée , entresol et 3 étages carrés ( 1° et 3° avec balcon) 4° étage sous combles .
Construction en pierre de taille, couverture en zinc, façade très riche .
Un escalier principal, un escalier de service.
4 fenêtres de face sur le boulevard
7 fenêtres de face sur la rue Laffitte.
Cadastre de 1876
Construction de 1841 (sic) archives de Paris D1P4/
Rue Laffitte propriété n°1/3
La Cie d’assurances La Nationale Vie 13 rue de Grammont
Description identique à l’acte ci-dessus
Cadastre de 1876 (modification)
S’adresser à : 2° concierge sous le 2° passage à gauche pour les immeubles 1/3 D, 1/3 E, 1/3 F, 1/3 G
Description sommaire de la propriété :
Bâtiment sur rue à l’extrême droite de la propriété. Double en profondeur, élevé sur cave et 5 étages carrés ( le 5° en retrait avec balcon) 6° sous combles .
Petite aile à droite sur la cité, de même élévation.
Construction en pierre de taille, couverture en zinc.
5 fenêtres de face sur la rue.
Ernest Verdier a laissé un livre de souvenirs : Dissertations gastronomiques
Merci pour l’aide apportée à :
Archives de Paris Christiane Filloles
A la BHVP, Marie-Odile Gigoux, Jean Dérens, Luc Passion
Archives de la Préfecture de police : André Lecudénec, Rémy ValatArchives P.E. SedaArchives personnelles