Le voyage touchait à sa fin. Nous accostâmes et gagnâmes Paris. Je dus bien m’avouer que j’avais présumé de mes forces et qu’il me fallait prendre quelque repos avant de poursuivre […].
Frankenstein, Mary Shelley.
Un dernier parcours de balade à travers quelques lieux (places d’exécution, prisons, cimetières, etc.) où flotte comme une odeur de sang frais, où on aperçoit parfois, au petit matin, un cadavre sans tête, où, la nuit, les vampires cherchent les hommes, bref, à travers des lieux dont les maîtres ne sont pas tout à fait humains…
Les vampires, monstres et morts-vivants attirent les écrivains, témoin la liste des auteurs qui s’y sont attachés mais aussi, comme nous l’avons déjà vu[[Voir nos articles 246 et 295.]]et comme nous le verrons encore ici, de ceux qui n’étaient pas a priori portés dessus et s’y sont pourtant intéressés.
Et Paris attire les monstres, ressemblant ainsi à Londres, où l’horreur trouve une certaine noblesse à se produire dans – ou sous – des ruelles chargées d’histoire, au milieu de vieilles pierres souvent symboliques, par exemple autour de Notre-Dame et du quartier latin.
Des différents quartiers de la capitale, deux semblent plaire particulièrement à ces êtres qui nous empêchent de dormir tranquille : les abords de la Seine entre les deux îles et le Louvre, et les grands boulevards[[Voir les deux articles précités.]].
Ces deux pôles d’attraction voient passer et repasser Quasimodo, des vampires, un fantôme de l’Opéra, un loup-garou, des monstres poursuivis par Adèle Blanc-Sec, Belphégor, des guillotinés morts-vivants…
Et ces deux pôles nous permettent d’établir deux parallèles étranges : entre monstres et théâtre, sur les grands boulevards, d’une part, et entre monstres et guillotines, sur les places de Grève et de la Révolution, d’autre part.
En effet, Paris a produit des histoires réellement monstrueuses lors de périodes agitées de son histoire comme celle de la Terreur révolutionnaire (1793-1795) ou de la Commune de 1871. En 1793, l’auteur dramatique Ducis n’écrit-il à son ami Vallier : Que me parles-tu, Vallier, de m’occuper à faire des tragédies ? La tragédie court les rues. Si je mets les pieds hors de chez moi, j’ai du sang jusqu’à la cheville… ? En 1797 encore, un certain Claude de Saint-Martin fait le même constat : Je ne puis vous peindre la suffocation que mon esprit y a éprouvée [à Paris]… ; j’y trouve le moral si altéré qu’il me semble voir l’accomplissement du treizième chapitre d’Isaïe sur Babylone. Les hommes que je vois courir les rues et remplir la ville me paraissent autant de dragons, d’oiseaux de nuit et de bêtes sauvages.
La guillotine, qui ne se repose pas beaucoup en ces années-là, inspire tout au long du siècle suivant quantité de nouvelles et romans aux romantiques (Dumas, Nodier, Pétrus Borel), à Villiers de l’Isle-Adam et à Washington Irving. Il s’agit de savoir si, oui ou non, après une décollation, la vie perdure, et combien de temps. A l’heure où nous imprimons, les avis restent partagés…
1793, c’est l’année où la mère de Mary Shelley (elle-même mère de Frankenstein) demeure à Paris au milieu des violences révolutionnaires. 1797, c’est l’année de naissance de Mary Shelley qui va, sur les ruines de la Révolution française, donner naissance à un homme neuf, mais peut-être pas celui qu’espéraient Danton, Robespierre et leurs camarades. Frankenstein paraît en français en 1821.
Si nous ignorons précisément où le docteur Frankenstein fait étape à Paris lors de son périple à travers l’Europe, voici un dernier parcours de balade à travers quelques lieux (places d’exécution, prisons, cimetières, etc.) où flotte comme une odeur de sang frais, où on aperçoit parfois, au petit matin, un cadavre sans tête, où, la nuit, les vampires[[Il resterait aussi à lire La femme immortelle et La Rue des enfants-rouges, de Ponson du Terrail.]] cherchent les hommes, bref, à travers des lieux dont les maîtres ne sont pas tout à fait humains…
AUX ALENTOURS DU PERE-LACHAISE
1) Le cimetière de Picpus se trouve à hauteur du 35 rue de Picpus, sur le terrain du couvent des Dames du Sacré-Cœur. Il est ouvert aujourd’hui à la visite. 1306 personnes décapitées pendant la Terreur (en juin-juillet 1794) y furent enterrées. Dans Le Loup-garou de Paris, on voit comment le couvent est accusé en 1871 de cacher des armes, des cadavres, des instruments de torture, etc. C’est ici qu’Aymar Galliez, oncle du loup-garou Bertrand Caillet, retrouve celui-ci en garde national déterrant des cadavres découverts dans la crypte de l’église.
2) Plus au nord, Caillet viole à nouveau des sépultures dans le cimetière du Père-Lachaise. L’histoire du roman, transposée dans la capitale au moment de la Commune de Paris en 1871, s’inspire de faits réels. Non pas qu’il ait vraiment existé un loup-garou parisien, mais François Bertrand, un sergent nécrophile, a bien sévi à la fin des années 1840 dans les cimetières parisiens et ailleurs, avant d’être emprisonné un an pour disparaître ensuite dans la nature…
3) La prison de La Roquette – ou Grande Roquette – se tient jusqu’à 1900 entre les rues Gerbier, de la Vacquerie, de la Roquette et de la Folie-Regnault. Ses locataires sont des condamnés à perpétuité et des condamnés à mort. La cellule de ces derniers est le décor du Secret de l’échafaud (Villiers de l’Isle-Adam), dans lequel est décrite l’exécution réelle de l’empoisonneur Couty de la Pommeraie, le 9 juin 1864. Seul le détail morbide de la fin, bien dans le goût de l’époque, est imaginaire (encore une histoire de mort pas tout à fait mort).
La Roquette est aussi un décor du Loup-garou de Paris.
4) Autre décor du Secret de l’échafaud, la guillotine publique n’est guère loin : devant le 16 de la rue de la Croix-Faubin. On y voyait encore il y a quelque temps les cinq grandes dalles entre lesquelles elle s’encastrait. Aujourd’hui, c’est la médecine du travail qui occupe le 16… mais ce n’est qu’une coïncidence !
La très courte nouvelle Nuits de Claude Seignolle décrit comment des chauffeurs de taxis parisiens sont parfois amenés à conduire « tout en haut de la rue de la Roquette » une vieille femme vêtue de noir et sentant le moisi… Se rend-elle au cimetière du Père Lachaise, ou devant le 16 de la rue de la Croix-Faubin ?
5) Après usage, la guillotine retournait dans sa remise toute proche, 60 rue de la Folie-Regnault, jusqu’à une prochaine exécution.
En face, la prison de la Petite-Roquette occupe jusqu’à 1974 l’espace situé entre les rues de la Roquette, Merlin, Duranti et Servan. Aujourd’hui, le square Marcel Rajman et le square de la Roquette lui ont succédé à hauteur du 147 rue de la Roquette. La prison accueillait les enfants de 6 (eh oui…) à 20 ans jusqu’à 1932, puis des femmes. Son portail a été conservé et orne l’entrée du square.