Les années de guerre sont pour Camus des années de passages : de l’Algérie à la France, de sa première femme à Francine, de l’inconnu à un début de reconnaissance, du journalisme à la littérature, avec un bref retour à celui-ci entre 1943 et 1947.
« La démocratie n’est pas le meilleur des régimes. Elle en est le moins mauvais. Nous avons goûté un peu de tous les régimes et nous savons maintenant cela. Mais ce régime ne peut être conçu, créé et soutenu que par des hommes qui savent qu’ils ne savent pas tout, qui refusent d’accepter la condition prolétarienne et ne s’accommoderont jamais de la misère des autres, mais qui justement refusent d’aggraver cette misère au nom d’une théorie ou d’un messianisme aveugle. »
Essais. Albert Camus.
– Camus débarque d’Algérie à Paris le 16 mars 1940. Il n’est plus journaliste au Soir républicain (auparavant Alger républicain), accusé d’être sous l’emprise communiste. Pascal Pia, ancien d’Alger, a été embauché par Pierre Lazareff à Paris-Soir et y fait embaucher Albert comme secrétaire de rédaction.
Il s’installe à l’hôtel du Poirier à Montmartre, 16 rue de Ravignan (qui n’existe plus et se trouvait à l’angle de la rue Berthe), puis bientôt 143 boulevard Saint-Germain, dans l’hôtel Madison. Le soir, il continue d’écrire. L’Étranger est terminé début mai 1940.
Lorsque l’armée allemande passe à l’offensive à l’été 1940, il essaie d’être mobilisé (il a été réformé pour cause de tuberculose), mais les événements se précipitent et le voilà pris dans l’exode avec l’équipe de Paris Soir jusqu’à Bordeaux, Clermont-Ferrand puis Lyon. Quelques jours après son mariage avec Francine et son contrat de travail ayant été rompu avec Paris Soir, il embarque pour Oran en janvier 1941, L’Étranger, Caligula et Le Mythe de Sisyphe en poche.
Grâce à Pia, L’Étranger paraît en juin 1942 chez Gallimard. Gerhard Heller et la Propaganda Staffel n’y voient rien à redire : Camus est encore inconnu et c’est sa chance. Il a refusé que des extraits soient publiés dans la Nouvelle Revue Française de Drieu La Rochelle.
– Une rechute de tuberculose, et son médecin lui conseille un hiver en France. Juillet 42 voit les Camus emménager dans la maison forte du Panelier, près du Chambon-sur-Lignon (Cévennes) chez la belle famille. À la rentrée scolaire, Francine regagne l’Algérie. Albert continue d’y écrire La Peste, dans laquelle il transpose la souffrance que lui infligent la guerre et la séparation d’avec sa femme et son pays. Il espère toujours rejoindre l’Algérie. Mais sa libération par les alliés en novembre 1942 met un terme à ce projet.
– En janvier 1943, Camus monte deux semaines à Paris et loge à l’hôtel Aviatic, toujours debout 105 rue de Vaugirard. Il rencontre l’équipe Gallimard et fait la connaissance de Maria Casarès. En juin, il est à nouveau à Paris et rencontre Sartre à la générale des Mouches. Cette même année, Pia, engagé dans le mouvement Combat, l’introduit dans la Résistance. Camus prend bientôt en mains Combat, le journal clandestin créé fin 1941 par le mouvement, qui tire à trois cent mille exemplaires et auquel il apporte les signatures de Sartre et Dionys Mascolo, le compagnon de Marguerite Duras.
Lorsque le mari de cette dernière, Robert Antelme, est arrêté, Mascolo et Camus récupèrent au 3e étage du 5 rue Saint-Benoît les dossiers de la résistance, Camus faisant le guet en bas de la rue alors que Mascolo grimpe à l’étage.
– Il est embauché comme lecteur aux Editions Gallimard fin 1943 et loue une chambre – chauffée ! – à l’hôtel Mercure, 22 rue de la Chaise (il n’existe plus). Ses journées de travail sont bien remplies et il ne parvient à consacrer à La Peste qu’une heure ou deux la nuit.
Huis clos, la pièce de Sartre, est jouée en mai 1944 après des répétitions avec Camus à l’hôtel La Louisiane, 60 rue de Seine. Camus a été acteur et metteur en scène, mais on demande à Sartre, au dernier moment, de choisir un metteur en scène de meilleure renommée, qui montera la pièce au théâtre du Vieux Colombier.
La générale du Malentendu de Camus a lieu le 25 juin 1944, avec Maria Casarès dans le rôle principal. La pièce est vivement critiquée par la presse collaborationniste et en particulier André Castelot dans La Gerbe.
– En 1944, Camus habite dans le studio annexe de Gide 1 bis rue Vaneau. Il y reçoit Maria et continue là de confectionner Combat. Pris un jour dans un contrôle de police, il échappe de peu à l’arrestation en confiant à Maria un dossier sur Combat.
– À la Libération, Camus et Sartre travaillent main dans la main pour Combat qui emménage en août 1944 100 rue Réaumur. Camus est rédacteur en chef. Le journal prône la « révolution » après la Libération, et le choix d’une troisième voie entre communisme et capitalisme. Mais Combat perd des abonnés au fil des mois. La troisième voie paraît illusoire alors que la guerre froide est pour bientôt.
Francine et Albert habitent un court temps à la Vallée-aux-Loups, l’ancienne demeure de Chateaubriand, puis à Vincennes, puis à Bougival.
Gérard Philippe participe au succès de Caligula en septembre 1945.
Camus finit La Peste en août-septembre 1946 au château des Brefs, aux Moutiers à 40 km de Nantes, propriété de la famille Gallimard.
Camus quitte Combat à l’été 1947. La Peste paraît au même moment. Cent mille exemplaires sont vendus en trois mois.
À la fin des années 1940, il loue une maison à Palerme, près de L’Isle-sur-la-Sorgue où vit René Char, et séjourne aussi dans l’annexe de l’Hôtel de la Chèvre d’or, à Cabris près de Grasse et au Chambon-sur-Lignon.
Camus habite également 17 rue de l’Université et 29 rue Madame et a un pied-à-terre au troisième étage du 4 rue de Chalaneilles, comme René Char (au premier étage).
Voir aussi 508.
Source : Albert Camus, une vie, par Olivier Todd.